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L’arrivée en France et les débuts de la renommée

Paris, le rêve devient réalité

1913

Installé à l’hôtel Odessa, le peintre Manuel Ortiz de Zarate l’entraîne le lendemain chez Picasso. En quelques jours, cette visite le fait entrer au cœur des avant-gardes. Il se rend aussi au Louvre, visite le salon d’Automne et se met à observer en peignant très peu. Il a décidé d’abandonner tout ce qu’il a appris à Tokyo et redémarrer à zéro. Son compatriote le peintre Kawashima Riishirō (1886-1971) lui fait découvrir l’Académie Duncan et le seconde dans ses découvertes et expériences diverses. Dès l’automne, il s’installe 14 cité Falguière grâce à Modigliani et Soutine. Il fréquente assidument le Louvre, se rend à Londres en décembre, revient à Paris et entretient avec Tomi une correspondance nourrie qui lui décrit la vie à Paris et réclame vivement sa présence.

Léonard Foujita, vêtement fait main, 1913

1914

Foujita et Kawashima achètent un terrain à Montfermeil, vivent un beau retour aux sources de l’Antiquité mais sont coupés dans leur élan par la déclaration de guerre, leur expulsion de Montfermeil et la destruction de leur maison. La bourse familiale ne parvenant plus à Paris, les difficultés commencent qui favorisent les échanges. Ils s’engagent dans la Croix-Rouge pour aider la France à chasser l’ennemi et vivent des heures sombres.

1915

En juin, le comte Paul-Alphonse Claret de Fleurieu, le mentor de Foujita lors de sa traversée, lui propose de se réfugier au château de Marzac en échange de menus besognes comme l’entretien des cheminées et celui de sa forteresse troglodyte de Reignac. Kawashima, qui l’accompagne, finit par quitter la France en octobre pour raison de santé. Foujita termine seul ce séjour.

1916

En février, il regagne Paris et choisit d’aller à Londres où les conditions sont moins difficiles ; après avoir travaillé comme restaurateur de meubles chez un antiquaire japonais, il est modéliste chez Selfridge’s lorsqu’il connaît une aventure sentimentale qui lui fait soudain douter de la pertinence de ses fiançailles.

Avec Fernande : accéder au succès en pleine guerre

1917

En janvier, de retour à Paris, il informe son père qu’il reste à Paris pour sa carrière et lui demande de rompre ses fiançailles. Par ailleurs, il rencontre à La Rotonde une jeune peintre, Fernande Barrey (1893-1974) ; il l’épouse immédiatement et s’installe chez elle 5 rue Delambre. Ensemble, il mette au point une première exposition de 110 aquarelles en juin et une autre de plus de cent œuvres en novembre à la Galerie Cheron, le marchand de Chaïm Soutine et de Amedeo Modigliani, rue de la Boétie. Il obtient un vif succès et un contrat. Foujita réussit à marier l’Orient et l’Occident dans ses peintures.

1918

En avril, Foujita et Fernande séjournent à Cagnes avec Soutine et Modigliani à l’invitation du marchand Léopold Zborowski dans une petite maison proche des Collettes où ils rencontrent Auguste Renoir en fin de vie. La rencontre est mémorable. Le séjour fondateur pour Foujita. En novembre, de retour à Paris, il expose à la galerie Devambez. Le succès se renforce, la critique encense le Japonais de Montparnasse et salue ses paysages de banlieue inspirée par le Douanier Rousseau.

Fernande, 1920

  Fernande Barrey, c. 1920

1919

En mars la galerie Chéron expose le syncrétisme des Compositions mystiques de Foujita qui étonnent le tout-Paris. En novembre, il participe pour la première fois au Salon d’Automne et illustre une première édition pour La Belle Édition, soit 210 exemplaires numérotés de Quelques poèmes, de Komaki Ohmia. Foujita allie ici la poésie japonaise au graphisme occidentalisant.

1920

Foujita expose au Salon des Indépendants, à la galerie de Constant Lepoutre, à Anvers et au Salon d’Automne.

L’invention déterminante du fond blanc

1921

Foujita, membre du jury pour le salon d’Automne, expose à Bruxelles, Rotterdam, séjourne à Rome avec son mécène Henri Seeholzer, avocat international de nationalité suisse, où, reçu par le pape Benoît XV, il visite le Vatican et admire Raphaël, Botticelli, Verrocchio et Michel-Ange. Le Saint-Père qui lui commande son portrait meurt entre temps. De retour à Paris dans le secret de son atelier, il met au point sa technique du fond blanc au service du Nu, du Portrait et de la Nature morte sur toile.

1922

Portrait de Léonard Foujita, 1922

Pour la première fois, il présente au Salon Teiten de Tokyo deux peintures de grand format, Mon Intérieur et Nature morte au réveil matin, oeuvres exposées l’année précédente au Salon d’Automne. Son père en est fier. Le Musée Royal des Beaux-arts de Bruxelles acquiert Mon portrait, premier achat d’état.

Avec Youki : peindre dans les années folles

1923

Foujita expose au Salon des Tuileries et devient membre associé du Salon de la Société Nationale à Paris et du Salon Teiten à Tokyo. Il décore l’intérieur di banquier Fierens à Anvers, rencontre Lucie Badoud (1903-1964) à La Rotonde et quitte Fernande Barrey.

1924

Au Salon d’Automne, Foujita triomphe avec son tableau intitulé Youki, déesse de la neige qui représente sa nouvelle compagne qu’il surnomme Youki, neige en japonais. Le couple s’installe 17 rue Henri-Martin dans le quartier de Passy. En novembre, il dessine les costumes et réalise le décor du Tournoi Singulier pour les Ballets suédois et expose à la galerie du Centaure à Bruxelles.

1925

Andre Warnod et Léonard Foujita, 1925

Foujita reçoit de nombreuses commandes de portraits et fait l’objet d’une première monographie par Michel Vaucaire (1904-1980). Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur en France, il est aussi fait chevalier de l’Ordre de Léopold 1er en Belgique. L’été se passe à aux Sables blancs.

1926

L’Amitié, tableau peint en 1924, est acheté par l’État français pour le musée du Luxembourg. En novembre, il expose le Portrait du lutteur Tochigiyama au Salon d’Automne.

1927

La galerie Katia Granoff lui consacre une exposition, la chalcographie du Louvre achète le cuivre d’un autoportrait et le théâtre des Champs-Elysées lui commande les décors et les costumes de la pièce de Shin-Kabuki Shuzenji-monogatari qui est aussi donnée à l’Odéon. L’été se passe à Dinard et à Bréhat.

1928

Sans doute l’année la plus productive, la commande du mécène Satsuma Jirohachi, pour le décor de la Maison du Japon à la Cité internationale universitaire de Paris, c’est-à-dire deux diptyques monumentaux, Grande Composition et Combats, présentés chez Bernheim-jeune et sa cohorte de dessins préparatoires ne l’empêche pas de réaliser de nombreux nus, chats, enfants, illustrations et gravures. Le couple s’installe square Montsouris près de Georges Braque et de André Derain. Grâce à Youki, Foujita découvre les idées surréalistes et Robert Desnos. Calder présente son Cirque chez eux lors d’une soirée mémorable. L’été se passe entre amis à Deauville et à Bréhat.

Son atelier étant plus proche de Montparnasse, le peintre reçoit plus de visites et de modèles, dont Jacqueline Barsotti qu’il partage avec Man Ray. Situé au dernier étage de sa ville art-déco, son espace de travail spacieux ouvre sur un agréable balcon sur lequel il pose pour le photographe Andrès Kertéz. Lui-même s’offre une caméra Kodak ultra moderne avec laquelle il réalise des scènes d’après ses modèles et Yuki surtout.

Foujita et Youki  

Foujita et Yuki, 1927

1929

Au 1er Salon des artistes japonais à Paris, galerie La Renaissance, il présente sa réalisation monumentale sur fond or L’Arrivée des Occidentaux au Japon destinée à la Maison du Japon et entreprend un ensemble de huit panneaux sur or pour le Cercle de l’Union Interalliée de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Il présente Combats et Grande Composition, peintures refusées par le baron Satsuma au Musée du jeu de Paume. Il décide d’épouser Youki. Sa production s’’intensifie encore consacrée aux enfants, aux chats et aux natures mortes jusqu’à son départ au Japon en septembre.

Le journal Asahi Shimbun y a programmé de grandes expositions à Tokyo, Osaka et Fukuoka qui sont autant de succès. Youki connaît son père, son frère et ses sœurs, un retour aux sources certes provoqué par un redressement fiscal mais qui les comble de bonheur que sa caméra Kodak 18 mm immortalise.

Youki, Foujita et son père, 1929

  Youki, Foujita et son père

1930

En janvier, de retour à Paris après une escale aux États-Unis, il est confronté à l’idylle avérée de sa femme et du poète Robert Desnos. Une découverte qui le bouleverse au point de basculer provisoirement dans un style expressionniste et flamboyant pour 4 grands formats, Le lupanar, Youki et le lion, Trois femmes et La Victoire de la vie sur la mort. À l’automne, il quitte Paris pour New York où il expose à la galerie Reinhardt et séjourne un mois à Chicago. Youki passe l’été avec Robert Desnos et s’installe avec lui 6 rue Lacretelle.

1931

Foujita se prépare secrètement à quitter Paris en organisant avec son ami Vincente Do Rego Monteiro (1899-1970) une tournée d’exposition personnelle en Amérique Latine. Il a conscience d’avoir rempli sa mission de peintre japonais à Paris, d’avoir obtenu le succès maximum et d’être bloqué dans son élan créateur par les tourments amoureux que lui fait subir Youki. Ces raisons lui font quitter brusquement la France avec son dernier modèle, Madeleine Lequeux, le 31 octobre 1931, laissant ainsi toutes ses œuvres à Youki chargée de les partager avec Fernande. Foujita laisse une lettre d’adieu à Youki et en envoie une autre à Robert Desnos le chargeant de veiller sur Youki.